un poids invisible, mais bien réel
On a tous des matins où sortir du lit est difficile, où on se sent bien sous la couette après une longue soirée, où on traîne avant de retrouver notre énergie.
Mais cet état « groggy », ce « brain fog » est normalement passager.
C’est un truc courant, que plein de gens ressentent. Sauf quand il devient chronique…
Ce brouillard mental, une fois installé, est bien plus qu’une simple difficulté à émerger. C’est un état où chaque tâche devient un combat pour avancer, où tout demande une énergie que je ne possède pas toujours. C’est ce sentiment d’être « déconnectée », où vous avancé en pilote automatique, comme un zombie, sans être vraiment « présent ».
Presque en état de sidération, mais pas tout à fait.
On a l’impression que le cerveau est « embrumé », que la concentration s’évapore et la mémoire fait des siennes. On se sent intellectuellement « fatigué », comme « pas au niveau de ses propres capacités ». Personne, en plein brouillard, n’avance aussi vite et avec autant d’aisance qu’avec le champ libre !
Et ce n’est pas un détail anodin : c’est un handicap qui engloutit des heures, qui emporte avec lui mes idées et mes envies d’action.
Le brouillard mental, ce n’est pas une fatigue passagère.
C’est une entrave continue, bien connue de ceux qui vivent avec le TDAH, le SSPT-C, l’autisme, la dépression, l’anxiété sociale, et d’autres troubles « atypiques » (je préfère dire « neurodivergent »). La liste est longue, et je ne suis pas spécialiste.
Le fait est que je cumule plusieurs de ces facteurs, et ce cumul crée un poids supplémentaire au quotidien.
Ce n’est pas un voile de fatigue qui se dissipe avec le jour.
Ce brouillard là s’épaissit parfois sans prévenir, engendré par l’accumulation d’émotions, de fatigue, par les tensions quotidiennes, l’hypervigilance ou les nuits agitées, sans parler des pensées envahissantes.
Un exemple ?
Récemment, j’ai dû vendre mon congélateur.
Des inconnus sont donc venus chez moi pour le récupérer. Normal.
Mais moi, ça m’a provoqué un stress irrationnel, incontrôlable. L’anxiété sociale.
Parfois, étrangement, je gère.
Parfois pas du tout.
Et là, je sentais bien que ce serait « pas du tout ».
Heureusement, mes voisins – des amours ! – ont pris la gestion en main pour éviter que je reste seule.
« Gentil voisin » est venu, m’a aidée à affronter cette situation, à me calmer, et il a même parlé en ma présence comme si c’était lui le vendeur !
Sans jugement.
Malgré tout, la tension est montée en moi. Et après coup, ça m’a épuisée.
Il m’a fallu plusieurs jours pour m’en remettre.
Évidemment, le brouillard en a profité pour s’inviter, plus dense que d’habitude.
Et pourtant, même en me couchant, je ne dors pas vraiment.
Pas tout à fait. Ce n’est pas une question s’endormir instantanément ou de lutter contre l’insomnie, bien que ça n’aide pas.
Mon sommeil est fractionné par l’hypervigilance.
Entre les bruits de la maison, les réveils parce que mon chat veut sortir (ou rentrer, ou re-sortir…), le besoin de changer de position parce que rester immobile devient inconfortable, des réminiscences ou le simple besoin de vérifier dans une semi conscience que « tout va bien ».
Au réveil, ce n’est pas une simple fatigue que je ressens, mais un mur épais, ce même brouillard qui m’attend et que je dois affronter, encore.
En réalité, on ne s’en rend pas compte tout de suite. On est déjà dedans.
On met du temps à réaliser.
Puis on lutte pour en sortir. Ou pas.
Prenons un autre exemple :
Pour écrire, je prends maintenant de la Ritaline (sur prescription médicale, évidemment).
Ça m’aide à « dissiper » le voile brumeux.
Pas parce que je ne peux pas fonctionner sans, mais parce que sans cela, avancer dans mon brouillard prendrait bien plus de temps. C’est même devenu impossible ces dernières années et c’est comme ça que j’en suis venu à céder à cette prise médicamenteuse.
Et j’en ai honte.
Sauf que sans cette « béquilles », je peux mettre des heures à retrouver une idée, à me concentrer sur une seule tâche sans m’en éloigner. Et même ainsi, le moindre bruit, la moindre petite interruption peut me faire perdre le fil, comme un château de cartes qui s’effondre en un souffle d’air.
Il faut alors tout reconstruire, recommencer, tenter de renouer avec l’idée que j’avais amorcée.
Ce problème de gestion du « focus », c’est pas du au brouillard.
Mais ce dernier m’engloutit, dès qu’il peut et retrouver le fil semble impossible.
Pour une personne sans brouillard mental, un texte comme celui-ci pourrait probablement être écrit d’un seul jet.
J’en aurais pas été loin par le passé en tout cas.
Maintenant, pour moi, chaque étape demande un effort colossal, parce que le moindre imprévu me fait perdre la trame. Chaque idée doit être notée en détail avant de s’échapper.
Imaginez : vous avez acheté tous les ingrédients pour cuisiner un plat, vous ouvrez le frigo et ne vous souvenez plus de ce que vous deviez faire. Vous pourriez en faire plein de choses ! Mais ce ne serait pas ce qui était prévu.
Ça ne semble pas grave ?
Ok.
Imaginez maintenant que vous avez votre permis, la voiture, le plein… mais que vous ne savez plus du tout où vous deviez aller.
C’est plus handicapant ?
Toujours pas?
Alors sachez que vos invités sont allergiques aux arachides et que vous deviez aller de toute urgence quelque part…
Voilà.
C’est pénible, hein ?
À chaque étape, si je suis interrompue, je dois repartir de zéro, retrouver le chemin, suivre chaque fragment d’idée, comme des cailloux du petit Poucet pour reconstituer la structure et retrouver mon ton.
Combien de pensées s’échappent ainsi, des idées perdues, parce que le fil s’est effacé derrière moi, mangé par l’opacité dévorante ?
Et lorsque j’arrive enfin au stade de la correction, même me relire peut être difficile.
Parce que je suis troublée par une faute de syntaxe au point d’en perdre le sens du texte, d’oublier ce que je viens d’écrire et me relire encore pour vérifier si j’ai bien abordé tel ou tel sujet !
Ma propre plume, bordel !
C’est une lutte perpétuelle contre l’invisible, l’intangible.
C’est comme un marathon contre un adversaire infatigable.
C’est épuisant.
Alors forcément, ça affecte aussi le corps, à la longue.
Et la fatigue devient immense, insurmontable, me submergeant comme une vague pour m’imposer le repos. Dans ces moments, il m’est tellement impossible de lutter que j’en pleurerais presque comme une enfant, juste pour pouvoir dormir !
Mais là, j’parle pas de simples siestes.
Non !
Exit les « petits dodos de 15 minutes à la pause déjeuner » !
Je les appelle des « syncopes de sommeil », des « comas » de 2 ou 3 heures. Et vous pensez que je me réveille fraîche et reposée ? Pas du tout.
Parce que le brouillard, lui, en a profité pour me rattraper, m’enlaçant amoureusement sans me lâcher.
Alors non. Ce n’est pas « comme tout le monde ».
Ce n’est pas juste un manque de sommeil, ni une question de « se secouer ». (Remarque tellement injuste et culpabilisante, d’ailleurs !)
C’est une lutte contre un état profond, insidieux, qui s’infiltre dans chaque aspect de mon quotidien. Si on l’appelle « brouillard mental » ou « brain fog », c’est bien parce qu’on est déjà dedans quand on le voit.
Et ça, bien entendu, c’est invisible aux yeux des autres.
Un handicap silencieux, épuisant, que je dois affronter sans cesse, chaque jour, comme bien d’autres avec moi.
Alors, pour conclure, je vous dirai ce que je tente de me répéter chaque jour, même sans y croire vraiment : « Ce n’est pas votre faute. Vous faites de votre mieux, et c’est le mieux que vous puissiez faire ! »